Du côté de CONDRIEU
Marche lecture en compagnie de Paola PIGANI
C’était le samedi 13 mai 2017
Nous étions quinze courageuses (et courageux) pour affronter pluie, vent et nuages. C’était sans compter sur notre écrivaine, Paola Pigani, qui, avec ses textes, a chassé le mauvais temps et éclairé notre journée.
Condrieu est une jolie petite ville, aux confins du Parc du Pilat, construite dans une boucle du Rhône il y a plus de deux mille ans, et riche à la fois par son patrimoine et la culture des vignes.Au-delà de la vigne, son histoire se confond avec celle des mariniers, qui halaient sur le Rhône de Lyon en Arles.
Nous nous sommes d’abord réchauffés autour d’un café et d’une brioche, puis, après avoir fait connaissance, avons écouté quelques poèmes de Paola, tirés du recueil « Indovina » (1), et de Joël Bastard, extrait de son livre « Au dire des pas » (2).
En raison du temps incertain, nous avons dû modifier l’itinéraire prévu, et avons opté pour une marche plus facile. Nous avons longé la « ViaRhôna »- ancien chemin de halage – ce qui nous a permis de profiter du fleuve, de son cours imposant et majestueux, de sa faune et de sa flore, en cette saison si vivantes.
Nous avons pu contempler le vol d’un héron cendré, suivre le parcours d’un ragondin, converser avec ces messieurs les colverts, observer la couleur intense d’un papillon bleu (un demi argus ? les spécialistes pourront-ils me le confirmer ?). Assis en cercle sur une petite plateforme bitumée, nous avons entendu avec ravissement, et pour certain(e)s avec étonnement, le premier chapitre du livre « N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures » (1), roman qui évoque le sort des tsiganes durant la seconde guerre mondiale.
La pluie nous a alors surpris, et nous sommes repartis. Grâce à la vigilance de Gilles et Anne-Marie, nous avons pu profiter d’une salle gracieusement prêtée par la municipalité, ce qui nous a permis de partager notre pique-nique dans une ambiance sereine et conviviale, à l’abri des intempéries. Salade de quinoa, fromages de chèvre, tome de Savoie, tablettes de chocolat, gâteau aux pommes étaient de la partie … Ce fut le moment aussi d’échanger avec notre invitée du jour, la questionnant sur son parcours, son écriture, ses centres d’intérêts … L’exil, l’itinérance, l’exclusion, l’enfermement… sont les thèmes dominants de son travail. Paola nous a beaucoup parlé des tsiganes, qu’elle a connus étant enfant, et du travail de recherche qu’elle a effectué pour mieux connaître leur histoire et écrire son premier roman.
Puis elle nous a donné à entendre le premier chapitre de son second roman « Venus d’ailleurs », qui raconte l’histoire de deux albanais, frère et sœur, originaires du Kosovo, exilés en France. Elle nous a ensuite fait découvrir (ou redécouvrir) un de ses auteurs favoris, l’écrivain italien Erri De Luca, avec des extraits de son roman « Trois chevaux » (3).
Nous avons poursuivi l’après-midi en remontant la rive gauche de l’Arbuel, petite rivière qui, autrefois, alimentait les moulins et les forges, nombreux dans la cité de Condrieu.
Nous avons suivi le chemin autrefois emprunté par les muletiers, assistant au passage, au concert des grenouilles et à la valse des fleurs d’acacias.
Lors d’une nouvelle halte, nous avons eu le privilège d’entendre des extraits de deux textes de Paola encore inédits. « Le cœur des mortels », dont le titre rappelle un poème de Charles Baudelaire, rassemble des poèmes écrits en écho à des photographies, qui feront l’objet, dans les mois à venir, d’une exposition. « La chaise de Van Gogh », recueil de poèmes écrits en hommage à son père, nous a émus par la force de ses images, et la sincérité de son écriture.
Puis nous sommes redescendus, observant au passage, la Tour Garon, la chapelle de la Visitation, et aussi de très jolies maisons au pied de la colline. Nous nous sommes regroupés dans le petit square de la place du Marché aux fruits, et avons écouté le chapitre 13 du roman « Venus d’ailleurs ».
Vers 17 heures, les nuages avaient totalement disparus, laissant place au soleil, ravi d’avoir pu écouter quelques pages de littérature.
(1) La bibliographie de Paola Pigani peut être consultée sur son blog : http://paolapigani.hautetfort.com/
(2) Joël BASTARD. Au dire des pas (L’Idée bleue). Voir aussi son blog : http://joelbastard.blogspot.fr/
(3) Erri De LUCA. Trois chevaux (Gallimard)
Deux extraits du recueil inédit Le cœur des mortels
Ils ne savent pas
La naissance de la ville
Ne voient que ses racines
À ciel ouvert
Fonte
Bitume
Tubulures d’acier
N’ont que le vent
Dans leurs os
Qui rugit et ruine
L’homme en chien de fusil
Il faudrait aller
Jusqu’où la ville
Ne reteint plus ses eaux
Marcher
Jusqu’aux confins des fatigues
Nous évider le cœur
Descendre au plus profond
Où les mots n’ont plus cours
Attendre que ça revienne
Le grand soleil dans la tête
Deux extraits du recueil inédit La chaise de Van Gogh
Il y a une chaise sous le hangar
Un dieu las pourrait s’y assoir
Le dossier est cassé
La paille éclaircie de fatigue
Les pieds ont été sciés
Pour être plus prés du sol
Pour fouiller le noir des moteurs
Un autour de l’absence
Sur terre battue
Souvenir du recel dans tes mains
Choses vivantes choses bruyantes choses cassées usées
La chaise vide
Le temps immobile à quatre pattes
L’absence longe le bois
Piqué par les vers où entrent et sortent
Des souvenirs de rires
Tu te rends compte,
Quoi papa ?
Tu te rends compte de la vitesse du vent qui passe entre les barreaux de chaise ?
Et celui qui a laissé une autre chaise vide ?
Stoel dans sa langue en néerlandais
Je le vois creuser la lumière
Extirper la couleur des blés
Le blé mûr
À jamais
Sa force solaire qui soulève le cœur
Courbé le corps en avant
Chevalet sur le dos
Van Gogh au borinage
Et toi après Udine, Cividale del Friul
Après le maquis Yougoslave
Au bout de voies ferrées
Les Flandres la Wallonie
Gesves
Dans ta poche le contrat pour aller casser de la roche à la carrière
Et le ciel de suie qu’on ne déplie pas
Dans ton corps de vingt ans
Le noir des mangeurs de pommes de terre
Les gestes empâtés d’ombre et d’inquiétude
Les pluies les brouillards
Qui enlacent votre jeunesse
La privent de lumière
De ce jaune à naître
De ce jaune de blé mur
De ces tournesols
Vos cheveux clairs
Combien de temps marcher encore
Dans les fossés gorgés d’eau
Écouter le râle des indigents
Combien de temps
Pour passer les frontières
Accrocher sa fortune à d’autres chemins